samedi, décembre 23, 2006

n° 79 -journal de l'Afghanistan Special dossier- 23-12

Sommaire :
1 Médias
1-1 René Naba La stratégie médiatique états-unienne 1945-2005.
1-2 André Duchesne : Le budget publicitaire de l’armée canadienne pour le recrutement est de 15,5 millions cette année.
2 Brèves
2-1 Retrait des forces spéciales françaises d'Afghanistan début 2007.
3 Dossier & Point de vue
3-1 Peter Schwarz : Le sommet de l’OTAN à Riga : vifs conflits au sujet de l’Afghanistan.
3-2 Point de vue de d'Adrien Jaulmes Pour vaincre les talibans en Afghanistan, l'Otan doit se mettre en retrait.
3-3 Point de vue de Piotr Goncharov : Washington souhaite une plus grande implication de ses alliés européens.
4 Courrier des lecteurs & trouvé sur le net
4-1 Libre Opinion : Michel Debray Mourir pour la France ?
5-0 Annexes
5-1 Les taliban et leurs alliés renforcent leur étreinte sur le nord du Pakistan.




1 Médias
Ndlr : PS : la publication des articles ou analyse ne signifie nullement que la rédaction partage toutes les analyses des auteurs mais doit être vu comme information
Marc
1-1 René Naba La stratégie médiatique états-unienne 1945-2005.
Du bon usage des principes universels
Les grands principes universalistes découlent rarement de considérations altruistes. Ils répondent davantage à des impératifs matériels. Il a en a été ainsi du principe de la liberté de la navigation brandie par l’Angleterre au XVIIe et XVIIIe siècles pour assurer sa suprématie maritime et partant son hégémonie commerciale à l’ensemble de la planète. Il en a été de même du mot d’ordre de libre-échange décrété par les pays occidentaux au XIXe et XXe siècles pour contraindre la Chine à écouler les marchandises occidentales sur son marché intérieur au nom de la « politique de la porte ouverte ». Il en sera de même du « principe de la liberté d’information » fermement défendu par les États-Unis, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale pour asseoir leur suprématie idéologique dans les quatre domaines qui conditionnent la puissance : politique, militaire, économique et culturel.
Dans leur bataille idéologique pour la conquête de l’imaginaire des peuples, gage essentiel de la pérennité d’une nation, les États-Unis développent un argumentaire reposant sur une double articulation, un argument intellectuel, le principe de la liberté de la circulation de l’information et des ressources, un argument pratique, le fait que les États-Unis soient la seule grande démocratie au monde à ne disposer ni d’un ministère de la culture, ni d’un ministère de la communication, preuve irréfutable, selon eux, d’un régime de liberté.
Présenté comme l’antidote absolu au fascisme et au totalitarisme, le principe de la liberté de l’information, constitue un des grands dogmes de la politique états-unienne de l’après-guerre, son principal thème de propagande. C’est une formidable machine de guerre qui répond à un double objectif. Briser, d’une part, le cartel européen de l’information, principalement le monopole britannique des câbles transocéaniques qui assure —via Cable and Wireless— la cohésion de l’Empire et confère une position de prépondérance à l’agence britannique d’information Reuter’s, accessoirement la prééminence de l’Agence française Havas, la future Agence France Presse (AFP) en Amérique latine, zone d’intérêt prioritaire des États-Unis.
Neutraliser, d’autre part, toute critique par l’élimination de toute concurrence européenne qui pourrait présenter les États-Unis en termes peu flatteurs aux lecteurs, l’image dévalorisée de l’Américain cow-boy mâcheur de chewing gum, ou plus grave la ségrégation raciale et les lynchages du Klu Klux Klan ou encore le grand banditisme de l’époque de la prohibition. Sous une liberté apparente perçait déjà le contrôle. Toute une littérature va théoriser ce principe de liberté de l’information et donner un habillage moral à une politique d’expansion [1].

William Benton
L’un des plus éloquents théoriciens en la matière sera William Benton, ancien sous-secrétaire d’État du président démocrate Franklin Roosevelt, promoteur du « New Deal ». Benton qui présidera la prestigieuse publication Encyclopaedia Britannica, dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, invitera les États-Unis à « faire tout ce qui est en leur pouvoir » pour briser les barrières artificielles qui s’opposent à l’expansion des agences américaines privées, des magazines, des films et autres moyens de communication.
La liberté de la presse et la liberté de l’échange de l’information font partie intégrante de la politique étrangère états-unienne, soutient-il estimant que le contrôle mondial des communications favorise les débouchés d’exportation [2]. Sous les grands principes percent déjà des objectifs matériels.
Quant à l’argument pratique, l’absence de structure ad hoc de propagande, le fait est fondé, mais doit être nuancé. Certes il n’y a ni ministère de la culture ni ministère de la communication dans le gouvernement des États-Unis, mais, dans cette bataille idéologique, les États-Unis pratiquent, non l’attaque frontale mais l’entrisme, une stratégie de contournement périphérique, une diplomatie multilatérale instrumentalisant les organisations internationales à vocation universelle ou spécifique, doublée d’une diplomatie parallèle de ses agences spécialisées : la CIA (agence centrale du renseignement) et les Fondations philanthropiques pour le blanchiment des fonds [3].
Que ce soit l’ONU, L’UNESCO, le Conseil économique et social de l’ONU ou l’Organisation interaméricaine, toutes auront inscrit dans leur charte « le principe de la liberté de l’information ». Toutes, peu ou prou, auront fait office de tribune pour la propagation de la doctrine états-unienne de la libre circulation de l’information. Qu’on en juge. La chronologie suffit à fonder cette affirmation. En septembre 1944, le Congrès des États-Unis officialise cette politique par une motion proclamant « le droit mondial à l’information pour les agences qui recueillent et font circuler l’information, sans discrimination », un droit qui sera protégé par le Droit international public.
Cinq mois après la motion du Congrès, la Conférence interaméricaine de Mexico adopte à son tour une résolution sur le libre accès à l’information (février 1945), suivie quatre mois plus tard de la Conférence de San Francisco portant création de l’ONU (juin 1945), puis du Conseil économique et social de l’ONU qui inclue la résolution dans sa charte en février 1946. Puis, le principe de la liberté de l’information reçoit une consécration officielle lors de la première session de la conférence générale de l’UNESCO à Paris (novembre 1946), suivi un mois plus tard par l’Assemblée générale de l’ONU qui proclame « La liberté de l’information, droit humain fondamental, impliquant le droit de rassembler, de transmettre et de publier des nouvelles partout sans entraves » (14 décembre 1946). Le temps n’est pas encore au journalisme embedded, ombiliqué à l’armée, imbriqué aux sources de l’administration, pratiqué lors de l’invasion anglo-saxonne de l’Irak en 2003, pour des raisons de « sécurité nationale ».
En deux ans, la structure de la diplomatie multilatérale de l’après-guerre est verrouillée par ce principe. Les États-Unis réussissent à le faire figurer dans la charte des cinq grandes organisations internationales (ONU, UNESCO, ECOSOC (Conseil Economique et Social), Organisation interaméricaine et l’Assemblée générale de l’ONU). L’ONU compte à l’époque cinquante cinq membres, le quart du nombre actuel avec une majorité automatique pro-occidentale composée de pays européens et latino-américains sous la férule états-unienne. Tous les grands États du tiers-monde en sont absents. La Chine continentale est boycottée au profit de Taiwan, l’Inde et le Pakistan, les deux nouvelles puissance nucléaires d’Asie sont sous domination anglaise de même que le Nigeria et l’Afrique du Sud, les deux géants de l’Afrique, nouveaux candidats au titre de membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, tandis que le Maghreb et l’Afrique occidentale se trouvent, eux, sous contrôle français.
Les États-Unis, qui disposent pendant une quinzaine d’années d’une majorité automatique, ne la dénigrent que lorsqu’elle rejoint le camp adverse, le bloc neutraliste soutenu par le camp soviétique. Elle refuse en conséquence de verser sa cotisation pendant une dizaine d’années.
Le déploiement sur le théâtre euro-méditerranéen
Ce corpus doctrinal est animé par le Congrès pour la liberté et la culture doublé sur le terrain d’une structure d’appoint de propagation thématique en application d’une stratégie de maillage planétaire dite de « global connexion » constitué d’un réseau enchevêtré de radios profanes, de radios religieuses et de publications périodiques animées par des prestigieuses personnalités sur les principaux théâtres de la confrontation Est-Ouest, avec un ciblage particulier sur l’ensemble arabe
Le Congrès pour la liberté et la culture (1950-1967)
Fer de lance de la guerre idéologique anti-soviétique, le Congrès est constitué d’un rassemblement hétéroclite de transfuges du bloc soviétique, d’intellectuels occidentaux, anciens compagnons de route du Parti communiste ou de simples intellectuels épris de reconnaissance sociale ou de bien être matériel [4]. Sa propagande vise tout autant à dénoncer le matérialisme marxiste qu’à sensibiliser les esprits, sur le plan du conflit du Proche-Orient, à un arrimage d’Israël au système d’alliance du monde occidental.
Ponctionnant 5 % du budget du Plan Marshall, soit près de 200 millions de dollars par an, le Congrès finance la publication de dizaines d’ouvrages au succès retentissant notamment New Class, une étude sur l’oligarchie yougoslave réalisée par le dissident anti-Tito et Docteur Jivago de l’écrivain russe Boris Pasternak ou encore L’Art de la Conjecture du royaliste français Bertrand de Jouvenel.
Parmi les principaux animateurs du Congrès figuraient ainsi Sol Lovitas, ancien collaborateur de Léon Trotski, le fondateur de l’Armée Rouge, désormais recyclé à la tête de l’influente revue Partisan Review, Nicolas Nabokov, fils du musicien Vladimir Nabokov ainsi que de l’écrivain Arthur Koestler, dont la CIA assure la promotion de son livre-culte Le Zéro et l’Infini achetant en sous main plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires pour en faire un succès de librairie avec les retombées éditoriales inhérentes. Ce qui fait la gloire de cet ancien communiste hongrois, ancien kibboutznik israélien qui se suicide à Londres, point ultime de son parcours cahoteux.
Le Congrès complète son travail de pénétration par un maillage éditorial sur tous les continents, finançant l’édition de quinze publications aux avants postes de la Guerre froide. En France, le Congrès bénéficie notamment du relais de deux institutions : Force ouvrière (FO), la formation syndicale dissidente de la CGT (Confédération générale du travail), la principale centrale ouvrière communiste française de l’époque, et l’équipe du journal conservateur Le Figaro autour de Pierre Brisson, ami du sociologue Raymond Aron [5] et de Nicolas Nabokov ainsi que du concours d’André Malraux, ancien ministre de la culture de Charles de Gaulle.
Annie Kriegel, éditorialiste du Figaro, passe ainsi de l’ultra-stalinisme à l’ultra-sionisme sans le moindre sas de décompression, trouvant dans ce quotidien une tribune appropriée à ses nouvelles diatribes anticommunistes, à la mesure des panégyriques passés en faveur de la « Patrie des travailleurs ». Épousant un cheminement intellectuel analogue, son neveu par alliance, Alexandre Adler, lui succède trente ans plus tard dans cette même fonction tribunicienne au sein de ce même journal, fustigeant à longueur de colonnes le nouvel ennemi public universel le « fascisme vert », que son collègue éditorialiste Yvan Rioufol désigne par le terme stigmatisant de « nazislamisme » [6]
Outre Annie Kriegel, deux autres personnalités se sont distinguées dans ce dispositif pendant un demi-siècle par leur rôle prescripteur de l’opinion occidentale particulièrement à l’égard du conflit israélo-arabe et de la question palestinienne : Walter Laqueur et Claire Sterling [7]. Natif de Pologne, en 1921 à Breslau (Wroclaw actuellement), naturalisé anglais, collaborateur de la revue Commentary et de The Public Interest fondé par son ami Irwing Kristoll, père de William Kristoll junior, un des théoriciens du néo-conservatisme de l’administration George Bush Jr. lors de la guerre d’Irak (2003) et de « la destinée manifeste des Etats-Unis », Walter Laqueur représente à Tel-Aviv pendant toute la durée des 17 ans de son fonctionnement le Congrès pour la liberté et la culture. Il contribue largement à cimenter un partenariat stratégique entre Israël et le « Monde libre », notamment les États-Unis et l’Europe occidentale à travers une série d’ouvrages répercutés par l’ensemble du réseau des quinze publications du Congrès sur tous les continents. En Europe, notamment à Berlin et Vienne, les deux lieux de transit privilégiés du monde interlope des transfuges, des exfiltrés et des agents double, à Rome, siège du parti communiste le plus important d’Europe occidentale, le Parti communiste italien animé par des dirigeants de légende tels Palmiro Togliatti et Enrico Berlinguer, ainsi qu’à Beyrouth, traditionnelle caisse de résonance des turbulences arabes, via une publication en langue arabe Al-Hiwar (Le Dialogue) qui assure la propagation des thèses du Congrès à destination de l’ensemble arabo-musulman.
Auteur de plusieurs ouvrages notamment La Génération Exodus , Mourir pour Jérusalem, « La Tentation neutraliste, Walter Laqueur co-préside, à 85 ans, le Conseil de la recherche internationale rattaché au CSIS de New York [8]. Ses plus récents écrits portent sur la nouvelle thématique idéologique de ses amis néo-conservateurs : Une Guerre sans fin, le terrorisme au 21ème siècle, ainsi qu’un ouvrage dont l’ambition cachée est de faire le tour de la question sur l’un de sujets d’actualité les plus violemment controversés de l’époque contemporaine : Les Voix de la terreur : manifestes, écrits, Al-Qaïda, Hamas et autres terroristes à travers le monde, à travers les âges.
Claire Sterling, (1918-1995), trône, elle, pendant un demi-siècle sur le Reader’s Digest, l’un des principaux vecteurs souterrains de la guerre culturelle menée par les services états-uniens. Grande théoricienne de la criminalité transnationale, elle assume une fonction de diversion, pratiquant avec un art consommé la « technique de l’enfumage », poussant des contre-feux médiatiques pour détourner l’attention sur les propres turpitudes de son camp.
Elle s’applique ainsi à dénoncer régulièrement la pieuvre mafieuse [9], pour mieux occulter l’une des plus grande entreprises criminelles du monde, le système Clearstream, système de compensation bancaire du Luxembourg chargé du blanchissement des opérations douteuses des grandes démocraties occidentales [10] ou encore pour occulter l’instrumentalisation de la commercialisation de la drogue pour le financement des opérations clandestines des services états-uniens en Amérique latine.
Diffusé en dix sept langues dans 160 pays, le Reader’s Digest popularise les analyses de Claire Sterling autoproclamée grande spécialiste du terrorisme moyen-oriental dans son ouvrage The terror network (Le Réseau terroriste) », exerçant de ce fait une sorte de monopole de l’intimidation par l’expertise [11]. Sous couvert de professionnalisme, Claire Sterling et Walter Laqueur auront alimenté régulièrement les revues spécialisées subventionnées par la CIA de chroniques dont le contenu est puisé directement auprès de leur bailleur de fonds.
Préfiguration de l’endogamie contemporaine entre pouvoir politique et pouvoir médiatique, le Congrès pour la Liberté et la Culture pratique à grande échelle l’autolégitimation d’une pensée homogénéisée où l’expert ne se reconnaît pas à la qualité de ses recherches mais à sa fréquentation assidue des forums médiatiques ; où l’intellectuel décrété comme tel mène une réflexion conforme à la politique éditoriale des médias dont il est l’invité précisément afin d’accréditer la pensée qu’ils propagent.
À coups de manipulation, de falsifications, de prévarications, une large fraction de l’élite intellectuelle occidentale aura ainsi sombré dans les travers qu’elle dénonce aujourd’hui comme étant l’une des plaies du tiers-monde. De l’autopromotion des experts à l’autosuggestion des thèmes, à l’intimidation par une prétendue expertise, « l’Amérique », héraut du « Monde libre », aura utilisé avec les complicités européennes et la vénalité de certains leaders d’opinion contre le totalitarisme, les méthodes mêmes du totalitarisme.
Les radios profanes : un tir de saturation
Le dispositif médiatique mis en place pour mener de pair le combat contre le communisme, sur le plan international, et le combat contre l’athéisme, sur le plan arabo-musulman, répond à un objectif qui relève dans la terminologie militaire du « tir de saturation tous azimuths ». Si sur le plan idéologique, Radio Free Europe est au premier rang des instruments de la guerre psychologique contre le bloc soviétique en sa qualité de principal retransmetteur de la production intellectuelle du Congrès pour la liberté et la culture », Voice of America est, quant à elle, le vecteur d’accompagnement de la diplomatie états-unienne, alors que les radios religieuses font office de levier de sensibilisation des groupes ethnico-communautaires de confession chrétienne dans la zone euro-méditerranéenne.
Par l’entremise de Radio Free Europe, l’es États-Unis assurent une pleine couverture de l’Europe orientale et des républiques musulmanes d’Asie centrale, servant d’amplificateur aux débats et grandes manifestations artistiques ou culturelles, les éditoriaux et analyses confectionnés dans les publications satellites. Soutenue intellectuellement et matériellement par la puissante Freedom House [12] , bras armé de la propagande gouvernementale et de la droite conservatrice internationale, Radio Free Europe Radio liberty Inc, basée à Prague (République tchèque), dipose pendant 40 ans de cinq sites d’émission en Europe, dont trois en Allemagne et de 54 fréquences. Radio Free Europe a un prolongement sur le continent latino-américain Radio TV Marti (anti-cubaine) et en Asie, Radio Free Asia.
Avec Voice of America (VOA), ces trois vecteurs relèvent au sein de l’administration américaine de l’International Broadcasting Bureau (IBB), disposant de vingt sites de retransmission dans le monde dont trois dans les pays arabes (Maroc, Koweït, Émirats Arabes Unis) ainsi qu’en Albanie, en Grèce, au Sri Lanka, en Allemagne, au Portugal et en Espagne.
Voice of America est le premier vecteur trans-régional en termes de puissance. Il dispose pour le secteur Méditerranée-Océan Indien de 24 émetteurs totalisant une puissance de feu inégalée de 9.100 KW et de 83 fréquences réparties sur trois sites d’émission. Deux d’entre eux (Rhodes et Kavala (nord de la Grèce) sont destinées au secteur Moyen-Orient/Asie Centrale, le troisième, Tanger, pour le Maghreb, les Balkans et la Méditerranée occidentale. Ce dispositif est complété par deux retransmetteurs installés dans deux principautés pétrolières, le Koweit et les Émirats Arabes Unis. À cela s’ajoutent les nouveaux vecteurs crées à l’occasion de la Deuxième Guerre contre l’Irak en 2005, Radio Sawa (Ensemble), la chaine de télévision Hurra (Libre). Toujours en Méditerranée, les États-Unis aménagent, tant en Italie qu’en Grèce, deux centres régionaux radiophoniques pour la production des programmes à l’intention des troupes stationnées dans le cadre de l’OTAN, à Héraklion (Grèce), siège de l’Armed Forces Radio and TV Service Air Force European Broadcasting Squadron et à Vicenza (Italie), siège du Southern European Broadcasting Service.
Le Congrès fonctionne pendant dix sept ans jusqu’à la Troisième Guerre israélo-arabe de juin 1967. Il passe ensuite la main aux prédicateurs électroniques dont le zèle prosélyte va se conjuguer au lobbying de la politique sioniste des organisations juives états-uniennes pour conduire Washington à s’engager dans un soutien sans faille à Israël. États-uniens et Israéliens s’appliquent alors à promouvoir une « idéologie des Droits de l’Homme », selon l’expression de l’historien Peter Novick [13], comme arme de combat contre le totalitarisme communiste, dans un premier temps, contre le totalitarisme islamique, dans un deuxième temps, après l’effondrement du bloc soviétique.
Le prosélytisme religieux : les prédicateurs électroniques
Aux radios profanes se sont superposées une vingtaine de grandes corporations radiophoniques religieuses disposant de moyens financiers et techniques sans équivalent dans les deux tiers des pays de la planète, dont les motivations ne paraissent pas toujours répondre à des considérations exclusivement philanthropiques.
S’appliquant à porter quotidiennement la « Voix du Seigneur » à travers le monde dans l’espoir problématique de gagner de nouvelles ouailles à la cause de leur propre dieu, ces prédicateurs électroniques nourrissent une prédilection particulière pour les foyers de tension (Sud du Liban, Sud du Soudan) et les minorités ethnico-religieuses des pays fragilisés par les dissensions intestines (Arméniens, Kurdes, Berbères) et, depuis l’invasion de l’Irak, en 2003, pour le nord kurdophone irakien. Tel est le cas de IBRA Radio (International Broadcasting Radio) qui anime au Moyen-Orient vers le Sud du Liban et la zone frontalière libano-israélienne une antenne locale onde courte pour les émissions de la station High Adventure alors que le Sud du Soudan, peuplé de chrétiens et d’animistes en rébellion contre le gouvernement islamique de Khartoum, est alimenté par les programmes de “Radio Elwa”, dirigée depuis Monrovia (Libéria) par des missionnaires anglo-saxons.
Au premier rang de ces corporations radiophoniques se place Trans World Radio (TWR), suivie d’Adventiste World Radio (AWR), FEBA Radio, IBRA Radio, WYFR-Family Radio, Monitor Radio et Nexus IBD. À l’exception de Radio Vatican (1555 KW, 36 fréquences, 33 langues) et d’une minuscule radio orthodoxe, Radio Trans Europe, toutes les grandes radios religieuses sont d’inspiration anglo-saxonne.
Toutefois par son ampleur et ses capacités, Trans World radio (TWR) constitue la première radio planétaire transfrontière de surcroît religieuse. Pionnière en la matière, TWR assure des émissions en 100 langues dans des idiomes négligés par les majors occidentales, dont elle apparaît dans les nouvelles terres de mission, les zones d’évangélisation d’Afrique et d’Asie, comme un utile instrument d’appoint. Disposant de neuf relais terrestres dont cinq en Europe (Albanie, Monaco, Pays-Bas, Chypre et Russie) deux en Asie (Ile de Guam et Sri Lanka) un en Afrique (Swaziland) et un en Amérique latine (Uruguay), TWR gère les émissions des trois sites méditerranéens (Albanie, Monaco et Chypre) depuis Vienne (Autriche) et aligne, rien que pour l’Europe, une puissance substantielle (1500 KW, 14 fréquences et des émissions en 30 langues), supérieure à bon nombre de radios occidentales. Vers la rive sud de la Méditerranée, TWR assure des émissions en 21 langues dont le Kurde, le Berbère, ainsi que les langues des pays méditerranéens. À Chypre, à la suite des programmes de RMC Moyen-Orient et à partir des antennes de la radio française [14], TWR assure des émissions religieuses nocturnes en trois langues (Arabe, Farsi, Arménien) sur ondes moyennes en direction des principaux pays musulmans. À travers les sites de Remoules (Sud de la France) et de Cap Greco (Chypre), grâce à sa coopération avec RMC France et RMC-MO, TWR jouit d’un avantage incomparable celui d’émettre en ondes moyennes lui assurant un bon confort d’écoute dans une zone qui abrite le centre historique de l’Islam et les principales réserves énergétiques mondiales. Deux autres radios religieuses participent de ce verrouillage médiatique : Adventist World Radio (AWR) et FEBA (Far East Broadcasting Association-Missionary) : Adventist World Radio dispose, pour sa part, pour l’Europe de 16 fréquences pour des émissions en 17 langues dont l’arabe (5 heures), l’anglais (6 heures dont 3 vers le Moyen-Orient), le français (5 heures en direction du Maghreb et de l’Afrique), le Farsi (2H), l’Urdu et le Hindi (2 heures chacun).
À titre indicatif, les radios religieuses anglo-saxonnes assurent 9 000 heures de programmes par mois, soit près de 10 fois plus que Radio Le Caire, le principal vecteur arabe du plus grand pays arabe, l’Égypte, qui abrite la plus forte densité de population (75 millions). En comparaison, The Friend of Israël Gospel Ministry, Église baptiste états-unienne, diffuse des émissions en faveur d’Israël sur 700 stations états-uniennes et publie la revue Israël My Glory dans 151 pays, collectant, rien qu’en 2005, des dons d’un montant de 8,5 millions de dollars en faveur de l’État hébreu [15].
À journées faites, sans interruption, et rien qu’en Méditerranée, pas moins de 2500 KW diffusent des programmes sur une vingtaine de fréquences dans toutes les langues du puzzle humain de la sphère arabo-musulmane, sans parler naturellement de Radio Vatican, la radio officielle de la chrétienté catholique. Relayant en programmes religieux les émissions profanes des vecteurs internationaux, les médias des grandes corporations religieuses optimisent ondes et fréquences saturant comme pour l’aseptiser de toute pollution anti-occidentale l’espace hertzien au point de donner l’impression à un passager d’un vol de nuit d’être propulsé aux confins du Paradis, bercé par Le Cantique des cantiques. Longtemps avant l’émergence des fedayins palestiniens dans le paysage arabe, bien longtemps avant Oussama Ben Laden, bien des décennies avant la désignation du « péril islamiste » comme la menace majeure du XXIe siècle, quotidiennement, invariablement, inlassablement, telle une symphonie pastorale s’élançant des îles de la Méditerranée vers l’espace arabo-musulman, les incantations divines de la liturgie occidentale avec une méticulosité monacale.
En tout temps, en tout lieu, en toute langue, l’aspersion est continue, l’intensité diluvienne. Sans exception, toutes les îles au nom si évocateur de paradisiaques vacances : Chypre, Malte, Rhodes, la Crête, la Sicile, toutes sont mobilisées pour prêcher la bonne parole. Toutes y compris le promontoire de Gibraltar et la sérénissime enclave de Monaco. De quoi combler d’aise le souverain marocain très sourcilleux sur les croyances de ses fidèles sujets, justifier les imprécations des Algériens contre le parti de l’étranger ou celles des théologiens de Qom contre le « Grand Satan états-unien » ou celle des islamistes salafistes sur « une nouvelle croisade occidentale ». Ainsi se nourrit l’imaginaire collectif des populations exacerbées.
René Naba

[1] Parmi les ouvrages préconisant la liberté d’information, citons Barriers Down (Abattre les frontières) de Kent Cooper, directeur exécutif de l’agence états-unienne Associated Press, Farrar & Rinehart éd., 1942, ainsi que la contribution de James Lawrence Fly, président de la Federal Communications Commission (équivalent états-unien du CSA français) « A free flow of news must link the nations », Free World, Volume VIII, Août 1944. Bibliothèque du Congrès.
[2] « La propagande culturelle au service des Affaires », Herbert Schiller, professeur à l’Université de Californie à San Diégo, in Manière de voir n°47 (Cinquante années qui ont changé notre Monde), avril -mai 2004.
[3] « La Fondation Ford, paravent philanthropique de la CIA » et « Pourquoi la Fondation Ford subventionne la contestation » par Paul Labarique, Réseau Voltaire, 5 et 19 avril 2004.
[4] « Quand la CIA finançait les intellectuels européens » par Denis Boneau, Réseau Voltaire, 27 novembre 2003.
[5] « Raymond Aron, avocat de l’atlantisme » par Denis Boneau, Réseau Voltaire, 21 octobre 2004.
[6] « Choc des civilisations : la vieille histoire du « nouveau totalitarisme » » par Cédric Housez, Réseau Voltaire, 19 septembre 2006.
[7] - Manufacturing Consent : The Political Economy of the Mass Media par Noam Chomsky, linguiste et philosophe, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et Edward S. Herman. Version française : La Fabrique de l’Opinion publique, Le serpent à Plumes éd., 2003.
[8] « CSIS, les croisés du pétrole », Réseau Voltaire, 6 juillet 2004.
[9] La Pieuvre. La mafia à la conquète du monde, 1945-1989 et Pax mafiosa, les multinationales du crime vont-elles s’emparer du pouvoir mondial ?, Robert Laffont éd., 1990 et 1993.
[10] Révélation$ par Denis Robert et Ernest Backes, Les Arènes éd., 2001. M. Backes a été administrateur du Réseau Voltaire.
[11] Who paid the piper par par Frances Stonor Saunders, productriuce de documentaires historiques pour la BBC, Granta Books éd., 1999. Version française : Qui mène la danse ? La Cia et la guerre froide culturelle, Denoël éd., 2003.
[12] « Freedom House : quand la liberté n’est qu’un slogan », Réseau Voltaire, 7 septembre 2004.
[13] Holocaust and Collective Memory par Peter Novick, Bloomsbury Publishing éd., 2001. Version française : L’Holocauste dans la vie américaine, Gallimard éd., 2001.
[14] « L’audiovisuel extérieur français : cahoteux, chaotique et ethniciste » par René Naba, Réseau Voltaire, 6 décembre 2006.
[15] « Evangelized foreign policy ? » par Howard LaFranchi, The Christian Science Monitor, 2 mars 2006. Version française : « Quand les évangéliques dictent la politique étrangère américaine », Le Courrier International, n°803 du 23 mars 2006.
1-2 André Duchesne : Le budget publicitaire de l’armée canadienne pour le recrutement est de 15,5 millions cette année.
Le budget publicitaire de l’armée canadienne pour le recrutement de 15,5 millions cette année constituerait un sommet, après celui de 12 millions de 2001-2002.
L'armée accapare le quart du budget publicitaire
Au cours des six premiers mois de la présente année financière, Ottawa a consacré le quart de son budget publicitaire à la campagne de recrutement des Forces canadiennes.Du 1er avril au 30 septembre 2006, le Conseil du Trésor a autorisé des dépenses de 61,1 millions pour des campagnes orchestrées par différents ministères et agences; 15,5 millions sont allés aux publicités de recrutement.Ces chiffres démontrent l’importance accordée par Ottawa au renforcement des rangs de l’armée, très engagée dans le conflit afghan. Or, ils font contraste avec un sondage SOM/La Presse/Le Soleil indiquant que 66,3 % des Québécois souhaitent un retrait.
Si la Défense est la grande gagnante du plan de publicité 2006-2007, il y a évidemment des perdants. Ainsi, seulement 2,35 millions ont été consacrés au ministère de l’Environnement (programme d’encouragement à utiliser les transports en commun) et 2 millions ont été accordés pour une campagne de l’Agence canadienne d’inspection des aliments pour la sensibilisation des voyageurs à la biodiversité.En 2005-2006, Ottawa avait versé tout près de 6 millions au ministère des Ressources naturelles pour deux campagnes publicitaires : le Défi une tonne et le Projet vert pour contrer les changements climatiques. Une campagne publicitaire de 6 millions, orchestrée par les Ressources naturelles et portant sur les améliorations en efficacité énergétique, avait aussi été autorisée.Au cours des troisième et quatrième trimestres de 2004-2005, les ministères de l’Environnement, des Ressources naturelles et des Transports avaient reçu 11,5 millions pour la campagne Défi d’une tonne, mise sur pied par l’ancien gouvernement libéral.Doit-on voir là un virage imputable au changement de gouvernement? Le député libéral d’Honoré-Mercier, Pablo Rodriguez, croit que oui. «Les conservateurs ont éliminé les programmes faisant appel à la mobilisation des gens, dit le député, qui est membre du comité de la Chambre des communes sur l’environnement. Par conséquent, ils ont supprimé les publicités associées à ces programmes.»Selon lui, c’est une autre démonstration du peu de sensibilisation des conservateurs à la chose environnementale. «Ils ont aussi fermé des sites Internet et retiré des références à Kyoto», dit M. Rodriguez.Chez les conservateurs, on réplique qu’on préfère les actions aux messages publicitaires. «En environnement, nous préférons agir que parler, réplique Mike Van Soelen, du bureau du Conseil du Trésor. Nous avons récemment annoncé 300 millions pour lutter contre les produits chimiques toxiques et 345 millions en faveur des biocarburants.»En 2004-2005 et 2005-2006, le ministère de la Défense avait reçu 7,7 et 10,1 millions pour le recrutement dans la force régulière et la réserve. Hier, le quotidien Le Droit d’Ottawa rapportait que l’offensive de recrutement de la Défense se poursuivra au cours des prochaines années. Ce ministère devrait consacrer 60 millions sur trois ans à des campagnes de recrutement. Le but est d’enrôler 23 000 nouveaux militaires, soit 13 000 dans la force régulière et 10 000 dans la réserve.Le budget de 15,5 millions de cette année constituerait un sommet, après celui de 12 millions de 2001-2002.
André Duchesne
La Presse
2 Les Brèves
Ndlr : PS : la publication des articles ou analyse ne signifie nullement que la rédaction partage toutes les analyses des auteurs mais doit être vu comme information
Marc
2-1 Retrait des forces spéciales françaises d'Afghanistan début 2007.
Paris a décidé le retrait, début 2007, des 200 militaires des forces spéciales françaises engagés en Afghanistan, à la frontière avec le Pakistan, a-t-on appris dimanche auprès du ministère de la Défense.
"Il y a une réorganisation générale de notre dispositif, puisque l'Isaf (Fias) se répartit sur l'ensemble du territoire et donc, dans le cadre de cette réorganisation, nous-mêmes nous avons un changement : le retrait des forces spéciales de Djalalabad", dans l'est du pays, a expliqué Michèle Alliot-Marie sur France Info.
La ministre de la Défense effectue une visite de trois jours en Afghanistan.
"D'un autre côté, nous allons renforcer la formation de l'armée afghane, et notamment la formation de forces spéciales afghanes, parce qu'il nous paraît important que les Afghans voient que ce sont leurs propres forces qui sont en train de reprendre le théâtre", a-t-elle précisé.
"Compte tenu des risques d'attaques que nous avons constatés ces dernières semaines et ces derniers mois, nous avons décidé de laisser en permanence nos forces aériennes qui sont venues à plusieurs reprises en soutien des forces de la coalition", a-t-elle ajouté.
Le retrait des unités d'élite est "une option sur laquelle la partie française travaillait depuis plusieurs semaines", a indiqué à Reuters un porte-parole du ministère de la Défense.
"C'est une décision qui a été prise en concertation avec nos partenaires de la coalition", notamment américains, a-t-il précisé.
Les forces spéciales françaises avaient été déployées en juillet 2003 en Afghanistan dans le cadre de l'opération "Liberté immuable" ("Enduring freedom") lancée par les Etats-Unis à la suite des attentats du 11 septembre 2001 pour démanteler le réseau Al Qaïda.
La France maintient 1.100 hommes dans le cadre de la Force internationale d'assistance à la sécurité (Fias) de l'Otan. Elle assure le commandement de la région de Kaboul depuis août.
La Fias a étendu ses opérations à l'ensemble du territoire afghan en octobre dernier, ce qui a entraîné une réorganisation de l'opération "Liberté immuable".
Dix militaires français ont été tués en Afghanistan, dont sept membres des forces spéciales.
Asie-Pacifique
dimanche 17 décembre 2006, mis à jour à 14:22
Retrait des forces spéciales françaises d'Afghanistan début 2007
Reuters
3 Dossiers
Ndlr : La publication des articles ou analyse ne signifie nullement que la rédaction partage toutes les analyses des auteurs mais doit être vu comme information
3-1 Peter Schwarz : Le sommet de l’OTAN à Riga : vifs conflits au sujet de l’Afghanistan.
Le sommet de l’OTAN, qui s’est tenu mardi et mercredi de cette semaine à Riga, la capitale lettone, a été marqué par de profondes divergences d’opinion entre les Etats-Unis d’une part et la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne de l’autre.
Il est clair que ces divergences d’opinion étaient centrées en premier lieu sur la revendication des Etats-Unis qui souhaitent que l’Europe renforce le déploiement de ses troupes en Afghanistan et commence à envoyer ses troupes dans le sud et l’est du pays qui est en proie à des conflits sanglants. Toutefois, des questions plus fondamentales étaient en jeu et avaient trait au rôle futur de l’OTAN et aux conflits d’intérêts entre les Etats-Unis et l’Europe.
Washington souhaite que l’OTAN passe d’une alliance transatlantique à une alliance militaire mondiale qui comprendrait des pays tels que l’Ukraine, la Géorgie, l’Australie, le Japon, la Corée du Sud, Israël et l’Afrique du Sud et qui opérerait alors comme une sorte de réservoir de troupes que les Etats-Unis pourraient déployer dans leurs campagnes militaires mondiales. Cette « nouvelle OTAN » comme le rapporte ironiquement l’hebdomadaire allemand Die Zeit, équivaudrait à un « pool permanent de coalition des volontaires (coalition of the willing) sous régie américaine. »
Pour leur part, les Européens sont aussi en faveur d’un déploiement militaire global renforcé, mais pas sous la forme de troupes auxiliaires mises à la disposition des Etats-Unis. Comme l’exprimait le président français, Jacques Chirac : « Les Européens se sont trop longtemps reposés sur leurs Alliés américains. Ils doivent assumer leur part du fardeau en consentant un effort national de défense qui soit à la hauteur de leurs ambitions pour l’Alliance atlantique. »
Le conflit au sujet de l’intervention de troupes en Afghanistan n’est que l’expression concentrée de ces divergences. En dépit de toutes les divergences d’opinion affichées lors du sommet, les participants au sommet de Riga étaient tous d’accord sur un point : cette intervention, la plus importante de l’histoire de l’OTAN et qui a fait un nombre sans précédent de victimes, était, au dire de la chancelière allemande, Angela Merkel, le « test décisif » pour l’avenir de l’alliance.
Il y a trois ans, l’OTAN avait pris, en Afghanistan, la direction de la Force internationale d’aide à la sécurité (Isaf). Actuellement, 32.000 soldats participent à des opérations de l’Isaf. Ils sont issus des 26 pays membres de l’OTAN et de onze pays supplémentaires. Quelque 12.000 hommes ont été envoyés par les Etats-Unis.
La zone d’opération de l’Isaf couvre l’ensemble du pays. Les unités de l’OTAN sont impliquées dans des combats permanents notamment dans le sud et à l’est du pays.
Les pertes en vies humaines de l’Isaf sont à présent, toutes proportions gardées, même plus élevées que celles des Etats-Unis en Iraq si l’on tient compte du nombre total de troupes impliquées dans la guerre au cours des deux années de guerre.
Rien que cette année, plus de 150 soldats de l’Isaf ont été tués au combat. Les unités qui ont avant tout été touchées viennent des Etats-Unis, du Canada, de Grande-Bretagne et des Pays-Bas. Quelque 90 pour cent des soldats tués en Afghanistan proviennent de ces quatre pays.
D’autres pays ont invoqué un caveat opérationnel, un mandat limité, pour leurs troupes, qui exclut la participation aux combats offensifs qui font rage dans les provinces du sud et de l’est. C’est ainsi que l’Allemagne se trouve, avec environ 3.000 soldats, au troisième rang parmi les pays qui mettent le plus de troupes à disposition, mais sa zone opérationnelle se situe dans des régions relativement calmes au nord de l’Afghanistan. La France a stationné 1.100 soldats dans la capitale et les soldats italiens et espagnols ne sont pas directement impliqués dans les combats au sud.
Depuis des mois, la pression exercée sur ces pays ne cesse de croître pour que ces restrictions soient levées et pour que leurs troupes puissent être envoyées au combat dans le sud et l’est. De plus, l’OTAN a réclamé un renforcement du contingent de l’Isaf d’environ 2.500 hommes.
Cette pression a été systématiquement augmentée durant les semaines qui ont précédé le sommet de Riga. Lors d’une conférence à Berlin, le sous-secrétaire d’Etat américain, Nicolas Burns, a demandé instamment au gouvernement allemand d’augmenter ses dépenses militaires et de « réfléchir à la question de savoir si les restrictions sévères qui sont imposées à ses troupes étaient raisonnables pour l’OTAN. »
Le secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, un Hollandais, s’était exprimé dans le même sens. Il a déclaré : « Recourir à des caveats opérationnels signifie invoquer des caveats pour l’avenir de l’OTAN. A Riga, je veux transmettre haut et fort ce message à nos chefs d’Etat et de gouvernement. »
Le thème fut repris par le président Bush dans un discours qu’il a tenu à l’université de Riga à l’occasion de l’ouverture du sommet de l’OTAN. Il a dit que l’OTAN ne réussirait en Afghanistan que si « les pays membres fournissent les troupes nécessaires aux commandants au sol pour qu’ils mènent à bien leur mission. » D’après lui, l’Alliance avait été fondée selon un principe clair : « une attaque contre un est une attaque contre tous. Ce principe est valable dans le cas d’une attaque sur notre sol ou contre les troupes en mission de combat de l’OTAN à l’étranger. »
Dans son style habituel de voyou, Bush mêla le langage de l’intimidation la falsification des faits pour arguer en faveur d’une intensification de la violence. « Nous avons tué des centaines de talibans, et cela a éliminé tous les doutes qui existaient dans l’esprit de tout un chacun quant au fait que l’OTAN remplira sa tâche, » dit-il.
Bien qu’un nombre croissant de civils soient tués quotidiennement par les opérations brutales menées par les troupes d’occupation contre de prétendus combattants talibans, Bush persista à attribuer la résistance grandissante exclusivement aux « combattants talibans et à al-Qaïda », aux « trafiquants de drogue, aux éléments criminels et aux seigneurs de la guerre » qui « restent actifs et qui sont décidés à détruire la démocratie en Afghanistan. » Bush ignora le fait que la plupart des seigneurs de la guerre et des trafiquants de drogue étaient alliés aux Etats-Unis dans la guerre contre les talibans et que l’accroissement de leur pouvoir et de leur influence était largement dû au soutien des Etats-Unis.
Bush poursuivit en louant le régime fantoche corrompu de Hamid Karzai comme étant l’incarnation de la démocratie : « Grâce à nos efforts, » déclara-t-il, « l’Afghanistan est passé d’un cauchemar totalitaire à une nation libre en disposant d’un président élu, d’une constitution démocratique et de soldats et de policiers courageux qui se battent pour leur pays. »
Les gouvernements européens étaient farouchement opposés à la revendication de Bush en faveur d’un engagement militaire accru. Toutes les fois que l’occasion se présentait, la chancelière allemande, Angela Merkel, a souligné que les soldats allemands avaient fait « un bon travail de construction » et qu’ils ne seraient pas envoyés au combat. Après la réunion, le premier ministre italien, Romano Prodi, a déclaré : « Notre position reste absolument inchangée tout comme celle de la France, de l’Espagne et de l’Allemagne. »
Indirectement, ils reprochèrent au gouvernement Bush d’être responsable de l’intensification du conflit en recourant de façon unilatérale à des moyens militaires dans un conflit qui ne pourra plus être résolu par les seuls moyens militaires.
Ce point de vue a été repris dans les médias allemands sous les formes les plus diverses. Le quotidien de Berlin « Tagesschau » a écrit : « La force internationale a fait l’objet en beaucoup d’endroits d’incompréhension, de colère et d’animosité en raison de ses opérations militaires massives. Des avions de l’OTAN ont sans cesse détruit les maisons et les infrastructures et les patrouilles de l’Isaf ont continuellement tiré sur des civils. »
Bien avant le sommet, le Süddeutsche Zeitung avait écrit : « Il serait fatal de se limiter dans la demande à des troupes additionnelles. Ceci ne mènerait qu’à un nouveau stade d’intensification contre un adversaire qui ne peut être vaincu militairement. Le sort des Etats-Unis en Iraq devrait servir de leçon à l’OTAN. La puissance mondiale dispose de cinq fois plus de soldats en Iraq que l’OTAN en Afghanistan. Et néanmoins, elle ne combat plus pour la victoire, mais seulement pour une forme de sa défaite. »
A la fin du sommet, les participants exhibèrent, certes, comme d’habitude leur unité mais rien ne subsistait plus des revendications originelles concernant le renforcement des troupes et le retrait des caveats. Seul « en cas d’urgence » les troupes allemandes et françaises fourniront de l’aide aux forces assiégées dans le sud, une disposition qui est d’ailleurs déjà en vigueur. Le Danemark, le Canada et la République tchèque seraient disposés à augmenter légèrement leurs contingents. Ceci n’a pourtant pas été officiellement annoncé.
La France a été en mesure d’imposer sa revendication pour un « groupe de contact » grâce auquel tous les acteurs internationaux importants, y compris les Nations unies, l’Union européenne et la Banque mondiale, peuvent coordonner leurs activités en Afghanistan, une revendication clairement dirigée contre la dominance des Etats-Unis.
La discussion quant à l’élargissement futur de l’OTAN qui à vrai dire aurait dû être le thème principal du sommet, fut en grande partie abandonnée. Seuls les trois petits pays des Balkans, l’Albanie, la Croatie et la Macédoine pourraient y adhérer dès 2008 suite à l’ouverture de négociations d’accession. En ce qui concerne l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine qui est fortement soutenue par les Etats-Unis, seule la possibilité d’ouvrir « un dialogue » a été indiquée. D’autres candidats potentiels, tel le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ne furent même pas mentionnés.
Selon le journal conservateur allemand, Frankfurter Allgemeine Zeitung, « En dépit de toute l’agitation autour de la solidarité de l’alliance et de la stratégie de l’alliance en Afghanistan, le résultat est bien maigre : beaucoup de bruit pour bien peu. »
Il serait faux toutefois, d’interpréter le conflit sur l’usage du soi disant hard power (manière dure) ou soft power (manière douce) qui a dominé tout au long du sommet de Riga comme un conflit entre une politique étrangère pacifique et une politique étrangère basée sur la violence.
L’Union européenne est activement engagée à développer ses propres capacités militaires, et ce, en partie en concurrence avec l’OTAN. L’armée française en particulier a démontré à maintes reprises qu’elle n’avait rien à envier aux Etats-Unis quant à la brutalité employée pour écraser des rébellions anticoloniales. Jusque-là, l’armée allemande d’après-guerre a manqué d’occasions pour démontrer ce dont elle est capable, mais la coopération entre l’armée allemande et les Etats-Unis lors des enlèvements illégaux et la torture a démontré qu’elle fait preuve de peu de scrupules lorsqu’il s’agit de recourir à la violence.
Ce sont les intérêts stratégiques divergents qui se cachent derrière les différences quant à la manière de procéder en Afghanistan. Les puissances européennes redoutent d’être entraînées dans le sillon de la politique étrangère américaine et de plonger dans le tourbillon du désastre en Iraq au cas où les Etats-Unis contrôleraient l’OTAN : elles ne sont pas disposées non plus à ce que les Etats-Unis compromettent leurs vastes intérêts économiques au Moyen-Orient. Ce faisant, elles considèrent l’affaiblissement de la position du président américain comme une occasion d’intensifier leurs efforts pour sauvegarder leurs propres intérêts impérialistes.
L’ampleur des conflits au sujet de la politique étrangère fut révélée dans une autre question qui ne fut pas abordée ouvertement lors du sommet, à savoir les relations de l’Europe avec la Russie.
Le fait qu’un sommet de l’OTAN se tienne pour la première fois sur le sol d’un pays qui avait appartenu à l’ancienne Union soviétique a été vu comme une provocation contre Moscou. Le gouvernement russe considère l’ancienne Union soviétique comme étant son actuelle sphère d’influence et ressent toute avancée de l’OTAN vers ses frontières comme une menace.
Dans son discours d’ouverture du sommet, Bush a déclaré que « pour la première fois notre alliance se réunissait dans l’une des “nations captives” annexées par l’Union soviétique. » Il fit allusion au monument de la Liberté qui se trouve en plein centre de Riga non loin du lieu de réunion du sommet. Le monument avait été érigé en 1935 par le régime autoritaire de Karlis Ulmani qui avait pris le pouvoir un an auparavant à la suite d’un coup d’Etat.
Bush évita de mentionner l’occupation de la Lettonie par les nazis qui dura quatre ans et qui, avec le soutien des unités SS lettones, ont massacré l’ensemble de la population juive et un nombre considérable de partisans. Au lieu de cela, il fit référence à l’expulsion des nazis par l’Armée rouge soviétique en 1944 comme étant le signal de départ d’une dictature qui dura cinq décennies. C’est précisément le genre d’interprétation de l’histoire lettone que l’on trouve dans les publications d’extrême droite.
Bush mit alors directement en parallèle la lutte pour la « liberté » contre le « communisme » avec ce qu’il appela la « lutte idéologique décisive du 21e siècle », notamment la « guerre contre la terreur » qui apportera, dit-il, au Moyen-Orient le genre de « liberté » et de « paix » qui règnent actuellement en Europe.
Aucun des chefs de gouvernement présents ne chercha à réagir contre cette déformation manifeste de faits historiques. Toutefois, le président Jacques Chirac a réagi à sa manière en invitant le président russe, Vladimir Poutine, qui n’avait pas été invité au sommet, à venir au dîner de son 74e anniversaire à Riga. Cette nouvelle a, selon le journal Le Figaro, « provoqué l’ire du président américain, George Bush. » Finalement, ce fut la présidente lettone, Vaira Kike-Freiberga, qui empêcha Poutine de venir.
Pour le moment, se sont encore des questions et des disputes de moindre importance qui révèlent les vraies tensions qui existent entre les différents partenaires de l’OTAN. Mais la divergence de leurs intérêts de grandes puissances menace l’unité même de l’OTAN et laisse présager des conflits entre les grandes puissances à la même échelle que ceux qui ont dominé la première moitié du siècle dernier.
Sources : WSWS
Samedi 16 Décembre 2006
3-2 Point de vue de d'Adrien Jaulmes Pour vaincre les talibans en Afghanistan, l'Otan doit se mettre en retrait.
Ndlr : PS : la publication des articles ou analyse ne signifie nullement que la rédaction partage toutes les analyses des auteurs mais doit être vu comme information
Marc
L'Otan est engagée en Afghanistan dans une guerre qui ne dit pas son nom. Près de 150 soldats, dont beaucoup de Britanniques et de Canadiens, mais aussi quelques Français, sont morts cette année dans des combats, de plus en plus durs contre des insurgés afghans, qui ne cessent de se renforcer.
Dans le sud du pays, des opérations successives ont été lancées pour tenter de desserrer l'étau des talibans autour des villes principales. Il a fallu en septembre plusieurs semaines pour « nettoyer » le district de Panjwayi, à quelques dizaines de kilomètres à peine de Kandahar. L'Otan, qui a perdu six soldats, affirmait à la fin de l'opération « Medusa », avoir infligé une sévère défaite aux talibans. Mais les avions américains et européens, qui ont effectué depuis le début de l'été plus de 2 000 sorties aériennes (soit dix fois plus qu'en Irak au cours de la même période) ont fait de nombreuses victimes ­civiles. Et quelques semaines après la fin des combats, des obus de mortier ont recommencé à s'abattre sur les positions de la coalition à Panjwayi et des attentats suicides ont repris dans la région.
L'escalade est en cours. L'état-major de l'Otan, qui doit tenir un pays immense avec 31 000 hommes (quatre fois moins qu'en Irak, cinq fois moins que les Soviétiques lors de leur occupation de l'Afghanistan), réclame évidemment des renforts. Dans les communiqués surgissent des termes qui rappellent la guerre d'Algérie ou du ­Vietnam : les bilans invérifiables de « pertes rebelles », des plans d'« afghanisation » de la guerre, et des communiqués d'état-major de moins en moins en phase avec la situation sur le terrain.
La mission confiée à l'Otan au lendemain de la chute du régime des talibans en 2001 était d'assister le nouveau gouvernement afghan jusqu'à ce que celui-ci soit capable d'assurer lui-même sa sécurité. La région de Kaboul a beaucoup ­bénéficié de cette présence, et la relative sécurité dans la capitale afghane reste le principal succès de cette mission.
Mais le gouvernement d'Hamid Karzaï contrôle à peine les provinces, et les perspectives de voir l'armée afghane prendre prochainement le relais des forces internationales ne sont pas encourageantes. Malgré des millions de dollars engloutis, le plan de formation de l'armée afghane n'a réussi à créer qu'une petite armée de 30 000 hommes, dont à peine la moitié sont opérationnels. Le taux de désertion des recrues reste très élevé. La police afghane est, quant à elle, une institution au mieux inefficace, mais le plus souvent corrompue, contribuant largement à l'impopularité du gouvernement.
Les forces étrangères se retrouvent presque naturellement engagées directement contre l'insur­rection. Mais ces soldats, à leur arrivée bien accueillis par la population afghane lasse d'années de guerre civile, voient ce capital de sympathie s'éroder à mesure qu'ils sont impliqués dans les combats. Retranchées dans leurs bases fortifiées, les troupes de l'Otan n'en sortent qu'en convois. Par crainte des attentats suicides, nouveauté sur le théâtre afghan et qui ont déjà coûté la vie à de nombreux soldats, leurs engins à Kandahar roulent au milieu de la chaussée, et tirent au pistolet au-dessus des conducteurs qui ne se jettent pas assez vite dans le fossé. Les mêmes méthodes utilisées dans le Cantal ou la Corrèze entraîneraient sans doute tout ­aussi rapidement un soulèvement populaire qu'en Afghanistan.
Les talibans, qui s'étaient évanouis dans la nature sous les bombes de l'US Air Force, et avaient perdu toute popularité au cours de leurs quelques années de pouvoir, ne sont plus aussi mal perçus par la population afghane. On se souvient à présent plus volontiers de leur lutte contre la corruption et la sécurité qu'ils apportaient, plutôt que de leur brutalité et leurs diktats fantasques.
En s'engageant plus en avant dans une longue et difficile guerre de contre-guérilla, que T.E. Lawrence comparait avec « manger de la soupe avec un couteau » tant l'opération est malaisée et inefficace, l'Otan risque d'alimenter ses propres ennemis, en s'attirant le ressentiment d'un peuple farouchement indépendant, qui a déjà chassé les Anglais à deux ­reprises au XIXe siècle et les Soviétiques dans les années 1980.
Plutôt que d'épuiser ses ressources militaires et la détermination politique de ses gouvernements dans une guerre sans fin, l'Otan aurait tout intérêt à revoir de fond en comble sa stratégie.
Les programmes internationaux de réforme de la société afghane, comme celui de l'éradication de la culture du pavot ou l'émancipation des femmes, aussi bien intentionnés soient-ils, n'ai­dent guère le gouvernement à se gagner une paysannerie afghane traditionnellement prompte à se révolter contre les réformes venues de l'extérieur. Des officiers de l'Otan réclament de moins en moins discrètement la mise en veille de ces programmes.
L'Afghanistan ne doit pas être abandonné à lui-même, au risque de redevenir un trou noir abritant de nouveau les djihadistes du monde entier. Mais la seule ­vic­toire possible pour l'Otan reste de permettre au gouvernement af­ghan de reprendre peu à peu le contrôle du pays, plutôt que de se substituer à lui, ou de poursuivre des rêves d'occidentalisation de l'Afghanistan. Ce résultat reste à portée.
Il est cependant urgent de sortir du cercle vicieux de la lutte antiguérilla, de concentrer les efforts diplomatiques sur le contrôle des frontières de l'Afghanistan, par où les insurgés se ravitaillent, et de continuer à fournir au gouvernement d'Hamid Karzaï une force militaire et aérienne de dissuasion, tout en limitant au maximum les opérations militaires.
Adrien Jaulmes, grand reporter … au service étranger du Figaro
Publié le 12 décembre 2006.
3-3 Point de vue de Piotr Goncharov : Washington souhaite une plus grande implication de ses alliés européens.
Force est de constater, cinq ans après l’invasion anglo-saxonne de l’Afghanistan que la Coalition peine à y établir la « liberté » dont elle se réclame. Incapable d’aligner des troupes supplémentaires, Washington, déjà englué en Irak, tente de « refiler le sale boulot » à ses alliés de l’OTAN. Mais que signifie aujourd’hui « lutter contre les talibans », sinon en réalité réprimer une révolte populaire contre les troupes étrangères ?
Au sommet de l’OTAN, à Riga, l’Afghanistan est revenu, contre toute attente, sur le devant de la scène. La question posée, plus précisément, était de savoir si l’Alliance atlantique est en mesure de stabiliser la situation dans ce pays.
Lorsque le programme définitif du sommet était en cours de préparation, au siège de l’OTAN, à Bruxelles, en mars dernier, le dossier afghan n’y avait pas été inclus. Les dirigeants de la coalition antiterroriste internationale dirigée par les États-Unis et ceux de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF) ne pouvaient pas prévoir que la situation en Afghanistan tournerait à leur désavantage. Aujourd’hui, il est clair que les choses deviennent de plus en plus imprévisibles et dramatiques.
Au cours des deux ou trois premières années de l’opération antiterroriste, baptisée Liberté immuable, les États-Unis ne doutaient guère de leur succès. Cinq ans plus tard, la « liberté » n’en finit pas de déraper.
Le gouvernement afghan a récemment rendu public un rapport sur la situation dans le pays. Ce document constate une nette aggravation des tensions militaires. Si, en 2005, on ne recensait pas plus de 130 attaques par mois contre les forces de l’OTAN, on en dénombre aujourd’hui jusqu’à 600. Depuis le début de l’année, plus de 3 700 Afghans, dont au moins un millier de civils, ont été tués dans les opérations menées dans les provinces méridionales et orientales par les troupes essentiellement américaines, anglaises et canadiennes.
Dans nombre de régions, les équipes provinciales de reconstruction (EPR) ont suspendu leurs activités, les organisations humanitaires internationales ont évacué leurs personnels, et les écoles ont fermé. Parmi les principales explications avancées vient l’intensification des activités du mouvement des talibans. Selon différentes estimations, les talibans opèrent en toute impunité dans le sud-est, le sud et le sud-ouest du pays, plus précisément dans les provinces de Paktia, Khost, Zaboul, Kandahar, Helmand et Nimroz.
Le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’Afghanistan, Tom Koenigs, estime qu’un "énorme effort militaire" s’impose pour éviter la défaite. Pour Alexandre Khramtchikhine, de l’Institut (russe) d’analyse politique et militaire, les Anglo-Saxons se devaient de tenter au sommet de Riga un forcing auprès de l’Europe continentale pour l’impliquer au maximum dans les opérations, car les Américains représentent plus de la moitié des troupes de l’OTAN déployées sur place, aidés des Britanniques et, dans une moindre mesure, des Canadiens.
Cet expert semble avoir raison. L’OTAN, dont les forces terrestres comptent plus de 1,5 million d’hommes, n’en a affecté que 20 000 à l’opération en Afghanistan. Et la plupart d’entre eux ne veulent plus combattre. Les États-Unis, qui viennent de placer leur contingent afghan de 10 000 hommes sous les ordres de l’OTAN, cherchent désormais à convaincre leurs autres alliés, notamment l’Allemagne et la France – présentes essentiellement dans le Nord, plus calme, de l’Afghanistan – de participer aux opérations menées contre Al-Qaida et les talibans dans les provinces méridionales et orientales.
Au début septembre, le commandement états-unien a remis à l’OTAN la direction des opérations dans l’Est de l’Afghanistan. Ainsi, les 21 000 soldats de l’OTAN stationnés jusqu’alors dans l’Ouest, le Nord et le Sud du pays doivent s’ajouter aux 12 000 États-uniens cantonnés dans l’Est. Pour l’Alliance atlantique, dont la mission était jusque-là limitée aux actions pacificatrices dans le cadre de l’ISAF, cela signifie le début de dures épreuves.
Si le Pentagone a, de fait, contraint l’OTAN à se charger de la direction générale de l’ISAF et de la plus grande partie de la coalition antiterroriste, c’est pour éviter que les uns fassent le « sale boulot » quelque part dans la province de Kandahar, tandis que les autres sirotent tranquillement leur bière dans le Nord. Le Pentagone souhaite que le commandant des forces de l’OTAN en Afghanistan, le général britannique David Richards, ait la « possibilité de demander un bataillon allemand le matin et de l’avoir le soir même à sa disposition pour mener des opérations dans le Sud ».
Les provinces méridionales et orientales de l’Afghanistan sont traditionnellement une source d’instabilité pour tout le pays. N’est-ce pas la raison pour laquelle aucune EPR, alors qu’elles sont présentes dans pratiquement toutes les provinces septentrionales, n’a été déployée dans le Sud ? L’absence de tout progrès dans la reconstruction économique, le chômage massif et la paupérisation ne peuvent pas encourager la population locale à coopérer avec l’OTAN dans la lutte contre les talibans. D’autant plus que la population locale est constituée, justement, de ces derniers
Piotr Goncharovanalista de RIA Novosti
4 Courrier des lecteurs & trouvé sur le net
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4-1 Libre Opinion : Michel Debray Mourir pour la France ?
Si l’on doit s’incliner avec le respect qui leur est dû devant les cercueils de nos soldats et marins tombés en Afghanistan (il y en aurait déjà six, semble-t-il, mais on parle de dix…), on a aussi le devoir de se demander pour quoi ils sont morts, et s’il est juste de les avoir envoyés combattre, aux ordres d’étrangers, en territoire étranger, des adversaires qui ne menacent en rien notre pays. Oui ou non, la présence de soldats français en Afghanistan, en Bosnie, au Kosovo, au Liban, en Côte d’Ivoire, correspond-elle à la volonté du peuple français, et est-elle utile et nécessaire à la France ?

Nos forces armées doivent servir la France, et non telle organisation supranationale, au gré des pressions exercées sur les gouvernements français. Leur intégration « a priori » à des structures de l’OTAN ou européennes est un non-sens militaire (le Général de Gaulle l’avait signifié clairement en 1966 en retirant nos forces des commandements intégrés de l’Alliance). Les exemples abondent d’opérations menées par des coalitions sans nulle intégration préalable : guerre civile de Crimée avec les Anglais contre les Russes, expédition en Chine avec des Allemands et des Japonais, entre autres, contre les Boxers, et bien sûr les interventions américaines en Europe en 1917 et à partir de fin 1942.

Mais le pouvoir (ou ce qu’il en subsiste en France) utilise la docilité inhérente à l’état militaire pour faire contribuer nos armées aux dérives « état-uniennes » (via l’OTAN) et européïstes (via l’UEO) qui sont les siennes… sans se soucier du sort de la France, de son indépendance en tous domaines et de sa souveraineté. Et malheureusement notre pays voit certains de ses bons serviteurs y perdre la vie. Mais est-ce « pour la France » ?
Michel Debray
Paru dans L’Indépendance, la Lettre de la souveraineté – novembre 2006
5-0 Annexe
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5-1 Les taliban et leurs alliés renforcent leur étreinte sur le nord du Pakistan.
Ce texte est la traduction d’un article du New York Times qui aborde la question de la talibanisation de la zone tribale et de ses répercussions sur la scène afghane alors que se profile un printemps 2007 crucial pour l’avenir des deux pays
Les militants islamistes se servent d’un récent accord de paix passé avec le gouvernement pour consolider leur emprise sur le nord du Pakistan, pour développer grandement l’entraînement des volontaires de la mort, d’autres recrues et pour renforcer les alliances avec al-Qaïda et les combattants étrangers, affirment des diplomates et des agents des services de renseignements de plusieurs pays. Le résultat, disent-ils, est qu’il existe virtuellement un micro-état tâleb.
Ces responsables déclarent que les militants bafouent ouvertement les termes de l’accord conclu en septembre dans le Nord-Waziristan en vertu duquel ils ont accepté de cesser les mouvements transfrontaliers de soutien à l’insurrection des taliban qui renaît en Afghanistan avec une force nouvelle cette année.
La région attire comme un aimant de nombreux combattants étrangers qui, non seulement contestent l’autorité gouvernementale dans la région, mais arrachent son contrôle tribus locales et diffusent leur influence dans les régions voisines, selon plusieurs responsables de l’administration américaine et de l’Otan, et des membres des services de renseignements pakistanais et afghans.
Cette année, plus de 100 chefs locaux, sympathisants du gouvernement ou suspects d’espionnage pour le compte des États-Unis ont été assassinés, certains d’entre eux ont été décapités, les militants utilisant un règne de la terreur pour imposer ce que le président du Pakistan, Pervez Moucharraf, appelle une talibanisation rampante. L’année précédente, au moins cent autres avaient déjà été tués.
Alors que les tribus avaient offert un refuge aux militants lors de leur retraite dans ces régions après l’invasion américaine de l’Afghanistan en 2002, ce soutien diminue avec les assassinats qui ont engendré de nouvelles tensions et ajouté de l’instabilité à la région.
« Ils prennent des territoires », affirme l’ambassadeur d’un pays occidental en poste au Pakistan. « Ils deviennent beaucoup plus agressifs au Pakistan », dit-il. « Une des leçons de l’Afghanistan des années 1990 est que des territoires non gouvernés sont un problème », poursuit-il. « L’ensemble de la zone tribale est un problème », affirme-t-il.
Les liens qui unissent les différents groupes datent des années 1980 lorsque des Arabes, des Pakistanais et d’autres musulmans ont rejoint les Afghans dans leur combat pour débarrasser l’Afghanistan de l’Union soviétique, en utilisant un réseau de camps d’entraînement et d’écoles religieuses établi par les services secrets pakistanais et financé par la CIA et l’Arabie saoudite.
L’entraînement s’est poursuivi dans les années 1990 avec le soutien du Pakistan et d’al-Qaïda puis ils ont pris la direction de l’Afghanistan des taliban. C’est à cette époque que le Pakistan s’est retrouvé aspiré dans le militantisme. Aujourd’hui, la boucle est bouclée.
Depuis leur retrait d’Afghanistan en 2002 sous les attaques militaires américaines, les taliban et les combattants étrangers ont utilisé à nouveau la zone tribale pour s’organiser, aujourd’hui pour s’entraîner avec dans leur ligne de mire les 40 000 soldats américains et de l’Otan en Afghanistan.
Après avoir échoué à reprendre le contrôle de ces régions au cours de campagnes militarise, le gouvernement a passé des accords au Sud-Waziristan en 2004 et 2005, puis, au Nord-Waziristan le 5 septembre dernier. Depuis cette date, des officiels de l’Otan affirment que les attaques transfrontalières menées par les taliban afghans et pakistanais et leurs alliés étrangers ont augmenté.
Au cours des dernières semaines, des responsables des services secrets pakistanais ont déclaré que le nombre de combattants étrangers présents dans la zone tribale était plus élevé que les estimations officielles (500 combattants) et pourrait s’élever à 2 000 aujourd’hui.
Ces chiffres incluent des Afghans et des dirigeants chevronnés des taliban, des militants ouzbeks et d’Asie centrale et un nombre estimé par la communauté du renseignement entre 80 et 90 de terroristes arabes en fuite ou en activité, dont les leaders d’al-Qaïda, Ossama Ben Laden et son lieutenant, Ayman al-Zawahri.
Le resserrement du réseau d’alliances entre ces groupes dans une région reculée et montagneuse qui échappe de plus en plus au contrôle de l’État est potentiellement désastreux pour la lutte contre le terrorisme aussi loin qu’en Europe et aux États-Unis, préviennent les responsables des services de renseignements.
Ceux-ci et des diplomates occidentaux pensent que cette situation laisse augurer une année 2007 encore plus sanglante pour l’Afghanistan, l’hiver devant servir de « période d’incubation pour multiplier les combattants », selon les termes d’un responsable.
« Je m’attends à ce que l’année prochaine soit plutôt sanglante », a déclaré Ronald Neumann, ambassadeur des États-Unis en Afghanistan lors d’une récente interview. « Selon moi, les taliban veulent revenir et combattre. Je ne m’attends pas à ce qu’ils soient victorieux, mais tout le monde doit comprendre que nous sommes (en Afghanistan) pour combattre », a-t-il ajouté.
Influence étrangère
Une des indications les plus claires du danger de ce bouillonnement local est le recours aux attentats-suicides. Pour des diplomates connaisseurs des tribus pashtounes, il ne fait aucun doute que le recours à cette tactique est la manifestation de l’influence d’al-Qaïda, aucune attaque suicide ne s’étant produite en Afghanistan et au Pakistan avant 2001.
Cette année, les attaques suicides sont un trait régulier de la guerre en Afghanistan et elles sont apparues pour la première fois au Pakistan, deux attaques ont été enregistrées au cours des dernières semaines dans la zone tribale, ce qui signifie une menace croissante pour la sécurité du Pakistan.
Récemment, des officiels afghans ont affirmé qu’ils avaient découvert les signes alarmants d’endoctrinement et de la préparation à grande échelle de volontaires de la mort dans la zone tribale pakistanaise. De plus, le ministre pakistanais de l’Intérieur, Aftab Khân Sherpao, a reconnu publiquement pour la première fois que l’entraînement des volontaires de la mort se déroulait dans la zone tribale.
Les services de renseignements afghans ont annoncé la semaine dernière l’arrestation d’un volontaire de la mort afghan qui portait une veste remplie d’explosifs. L’homme aurait reçu du directeur d’une école coranique pakistanaise de l’agence de Bajaur la mission de se faire sauter. Il aurait également dit que 500 à 600 étudiants en théologie ont été préparés pour mener la guerre sainte ou pour se faire exploser en kamikazes.
L’homme a affirmé que l’ancien chef des services de renseignements pakistanais, le général Hamid Gôl, finançait et soutenait le projet. Ces déclarations sont impossibles à vérifier. Les services de renseignements pakistanais ont depuis longtemps appuyé les militants dans les zones tribales pour faire pression sur le gouvernement rival en Afghanistan, bien que le gouvernement pakistanais affirme avoir cessé tout soutien.
Les recrues sont si nombreuses que selon une rumeur dont un chef de tribu, qui ne veut pas que son nom soit publié par crainte des volontaires de la mort se fait le relais, un kamikaze a été renvoyé chez lui pour qu’il attende son tour, car il y avait trop de candidats avant lui.
Des responsables militaires américaines pensent que la plus grande partie de l’entraînement au Waziristan s’effectue sous l’égide d’hommes comme Djalalouddine Haqqani, un des plus fameux commandants de la résistance à l’armée soviétique qui a rejoint les taliban dans les années 1990.
Il a entretenu des relations étroites avec les combattants arabes dès les années 1980, lorsque le Waziristan était sa base arrière dans sa lutte contre l’occupation soviétique. Les combattants arabes l’y rejoignaient, Ossama Ben Laden était l’un d’eux.
M. Haqqani est devenu plus tard ministre des Affaires tribales du régime des taliban. Il a également été le principal protecteur des combattants étrangers dans leur fuite en 2001 et 2002. Lui et son fils, Sirajouddin Haqqani, demeurent les importants partenaires d’al-Qaïda dans le Waziristan.
M. Haqqani est basé au Nord-Waziristan et une foule de taliban et de commandants étrangers, en particulier ouzbeks, lui est loyale, affirment des responsables militaires américains. L’argent, provenant de soutiens religieux locaux et du Golfe persique, continue à se déverser. Il provient également d’un grand nombre d’activités illégales lucratives, comme le commerce de l’opium, la contrebande et même le kidnapping, déclarent des diplomates, des analystes des Nations unies et des journalistes du cru.
« Il y a clairement d’importantes installations pour l’entraînement en activité au Waziristan, au si bien au sud qu’au nord, et dans d’autres régions des FATA (Federally Administered Tribal Areas) et au Baloutchistan », affirme un diplomate en poste à Kaboul. « La présence continue des taliban et du réseau de Djalalouddine Haqqani est encore plus inquiétante », poursuit le diplomate qui se dit atterré par ce qu’il considère comme de la passivité des Pakistanais dans la lutte contre ces réseaux. Ce problème « n’a pas été du tout pris en considération du côté pakistanais. Ils n’ont pas été poursuivis », ajoute-t-il.
Le diplomate distingue également Saddiq Nour, un commandant pakistanais âgé d’une quarantaine d’années qui, selon lui, entraîne des volontaires de la mort au Waziristan avant de les envoyer en Afghanistan. M. Nour a combattu en Afghanistan aux côtés des taliban dans les années 1990. C’est une farouche adversaire à la présence des États-Unis et de l’Otan en Afghanistan. .
Un autre commandant, Beitôllah Meshoud, âgé d’une quarantaine d’années et, lui aussi, originaire de la région, est probablement le commandant tâleb pakistanais le plus puissant. Il enverrait lui aussi des volontaires de la mort en Afghanistan. Il a également combattu en Afghanistan dans les rangs des taliban et affirme avoir aujourd’hui 15 000 hommes sous son commandement.
Les deux hommes sont loyaux à M. Haqqani, que le diplomate occidental considère comme l’un des commandants taliban les plus dangereux en raison de ses liens avec al-Qaïda et de sa forte implantation locale. Un autre, parmi les plus dangereux pour les mêmes raisons, est le mollah Dadôllah, un commandant tâleb impitoyable originaire du sud de l’Afghanistan qui a émergé comme l’une des principales figures de la résurgence des taliban afghans.
Unijambiste, il a perdu une jambe au combat, le mullah Dadôllah est un personnage haut en couleur qui jouit d’une réputation de cruauté. Il a de peu échappé à la capture dans le nord de l’Afghanistan en 2001. Il donne souvent des interviews aux agences de presse dans lesquelles il fait preuve de vantardise. Il est également connu pour avoir donné personnellement l’ordre d’abattre un travailleur humanitaire. Sa dernière déclaration, faite à Reuters par téléphone, était pour dire que les taliban ont infiltré des kamikazes dans chaque ville d’Afghanistan.
On considère généralement qu’il est basé dans la ville pakistanaise de Quetta ou dans sa région, et qu’il est constamment en mouvement. Il s’est rendu dans plusieurs régions d’Afghanistan cette année et plusieurs fois au Waziristan, notamment lorsque les tribus du Nord-Waziristan négociaient l’accord du 5 septembre avec le gouvernement, accord qu’il a approuvé selon des journalistes locaux et des membres des services de renseignements.
A la recherche de l’ordre
La question qui devient de plus en plus pressante pour les responsables pakistanais, afghans, américains et de l’Otan est : que peut être fait pour ramener la région sous contrôle ?. L’accord du 5 septembre au Nord-Waziristan demeure la dernière tentative du gouvernement pakistanais.
En vertu de cet accord, le gouvernement et les militants ont accepté de cesser les attaques, et les militants ont accepté de cesser les mouvements transfrontaliers de soutien à l’insurrection des taliban, d’assassiner les chefs tribaux et les sympathisants présumés du gouvernement et de mettre un terme à la talibanisation de la région.
Les commandants taliban ont approuvé l’accord, arguant que les militants devaient concentrer leurs efforts sur les forces étrangères déployées en Afghanistan et ne pas gaspiller leur énergie dans des combats contre les militaires pakistanais, explique un journaliste travaillant au Waziristan.
Les critiques de l’accord affirment qu’il est ouvertement bafoué dans la mesure où il n’existe pas de mécanismes pour faire respecter son application et qu’il a en fait donné le pouvoir aux militants. Dans un rapport publié le 11 décembre, l’International Crisis Group, un institut de recherche basé à Bruxelles, le qualifie de politique de l’apaisement.
Le gouvernement a démantelé des check-points, libéré des militants détenus, rendu des armes et des véhicules confisqués et proclamé une amnistie. Mais, les militants ont augmenté leurs activités en bénéficiant de la trêve avec l’armée pakistanaise, affirme le rapport.
« Depuis le début l’accord n’est pas bon car il y a trop de concessions et aucune clause constituant une obligation », considère le général Mahmoud Shah, secrétaire des FATA jusqu’en 2005. « Cet accord ne va pas fonctionner, et s’il fonctionne, ce sera contre les intérêts du gouvernement », prédit-il.
Afrasiab Khattak, politicien local et porte-parole de l’Awami National Party à Peshawar, critique lui aussi l’accord. Les militants ont aujourd’hui le pouvoir que détenaient les chefs tribaux, dit-il. « Ils ont imposé une nouvelle élite au Waziristan », affirme-t-il. « Plus de 200 chefs tribaux ont été tués et pas un seul coupable n’a été traduit en justice », poursuit-il.
Javed Iqbal, le nouveau secrétaire aux affaires tribales, défend encore l’accord au Nord-Waziristan comme un effort pour revenir vers des moyens traditionnels de gestion des zones tribales, via les chefs tribaux. Ce système, utilisé par les dirigeants britanniques et pakistanais, s’est érodé durant les campagnes militaires des dernières années.
« Nous avons essayé des méthodes coercitives qui n’ont pas produit de grands effets », a-t-il déclaré au cours d’une interview à Peshawar. Le gouvernement a laissé tomber les chefs tribaux du Waziristan qui voulaient engager un dialogue avec lui, mais ils ont été assassinés les uns après les autres par les militants, a-t-il poursuivi. Toutefois, l’importance de l’affluence de l’assemblée qui s’est tenue en novembre à Miranshah (entre 500 et 600 chefs tribaux) est encourageante, estime-t-il. Elle montre que les chefs tribaux veulent s’engager, pense-t-il. « Nous revenons aux affaires », affirme-t-il.
Perte de contrôle
Certains responsables pakistanais admettent sous le couvert de l’anonymat qu’ils ont commis une énorme erreur en donnant aux militants une importante liberté d’action.
Les structures de commandement des taliban afghans et pakistanais dirigent des camps d’entraînement établis dans plusieurs régions de la zone frontalière longue de plus de 800 kilomètres qui va du Baloutchistan à l’agence de Bajaur en passant par les agences du Nord et du Sud-Waziristan qui jouent e rôle de noeud de transit, avance un diplomate occidental en poste à Kaboul.
Un diplomate qui s’est rendu à Wana, capitale du Sud-Waziristan, a déclaré que le gouvernement n’avait presque aucun contrôle sur les deux Waziristan. « Ils ne sont absolument pas aux commandes au Nord-Waziristan qui risque de prendre le chemin du Sud-Waziristan », a-t-il dit. « Au Sud-Waziristan, le gouvernement n’a même pas la prétention d’exercer ses attributions au-delà des grilles qui entoure le siège de l’administration », a-t-il ajouté.
L’influence des fondamentalistes s’étend vers d’autres régions, leur propagande étant diffusée par des stations de radio privées, par un large réseau d’écoles coraniques et grâce à la distribution de CD et de DVD. Elle se fait sentir dans les agences tribales voisines et dans d’autres régions de la Province de la Frontière du Nord-Ouest (NWFP). Au cours des derniers mois, les journaux pakistanais ont fait état de la fermeture de magasins de disques, de barbiers, de la destruction de postes de télévision et de menaces visant des écoles pour filles.
Les militants sont plus puissants que les militaires et que la police tribale locale. Ils assassinent impunément et protègent des criminels et des fugitifs. Des journalistes locaux affirment que les populations les tiennent pour responsables de la hausse des kidnappings, des meurtres, des vols et même des viols.
La brutalité de certains militants étrangers a entraîné une hausse du mécontentement de leurs hôtes pakistanais. La plupart des militants sont armés, ce qui rend la région encore plus volatile et incontrôlable. « Au début, il y avait de la sympathie », témoigne un responsable des services de renseignements pakistanais. « Ensuite, l’argent a coulé à flot, puis la peur s’est installée. Aujourd’hui, la peur dépasse l’argent et la sympathie », ajoute-t-il.
Pour l’heure, les commandants taliban et les militants pakistanais restent, cependant, fidèles au djihâd en Afghanistan. En dépit des tensions, ils bénéficient encore du soutien des habitants, affirment des officiels et des journalistes locaux.
L’échec des campagnes militaires gouvernementales des dernières années, menées, dit-on, sous la pression des États-Unis, a contribué à radicaliser encore plus les populations locales. La renommée gagnée par les familles de deux volontaires de la mort originaires du Waziristan et envoyés en Afghanistan est un indicateur du soutien dont jouissent localement les militants, estime un journaliste du cru. « Les gens soutiennent les militants car ils appartiennent aux mêmes tribus, aux mêmes familles », explique-t-il sous le couvert de l’anonymat.
Le moral est au beau fixe chez les taliban après leur résurgence en Afghanistan, affirme un responsable des services de sécurité pakistanais. Cela leur facilitera leur recrutement et améliora leur organisation et la planification de leurs opérations pour l’année à venir. Les combats perdent traditionnellement en intensité en hiver à cause des conditions inhospitalières dans les montagnes. Mais la reprise des combats au printemps sera plus sanglante, affirme un diplomate occidental en poste à Kaboul. « Nous devons assumer que la situation sera encore mauvaise car aucune des causes sous-jacentes n’a été traitée », affirme-t-il
Bassirat.net 15 Décembre 2006